Au British Museum, le grand voyage des momies
Le Jugement des morts en présence d'Osiris, de Thèbes, en Égypte, 19e dynastie, vers 1275 avant J.-C. (The Trustees of the British Museum)
L'institution déroule les plus beaux papyrus, décrivant le cheminement des morts à travers le royaume d'Osiris jusqu'à la félicité éternelle.
(Envoyé spécial à Londres)
Dans l'Égypte antique, la mort n'est pas un long fleuve tranquille. Après le trépas, la félicité éternelle ne s'acquiert qu'à l'issue d'une ¬sorte de gymkhana dans l'inframonde. Ce parcours est tellement complexe qu'il nécessite un manuel. Ce n'est pas à proprement parler un livre mais un rouleau de papyrus, lequel, une fois déroulé, peut se révéler long de plusieurs dizaines de mètres.
Record pour le Greenfield Papyrus avec 37 mètres. Il appartenait à Nesitanebisheru, fille du grand prêtre d'Amon (990-969 avant Jésus-Christ), une des femmes les plus importantes d'Égypte. Il provient des tombeaux royaux de Deir el-Bahari. On peut l'admirer dans son intégralité actuellement au British Museum. L'institution réunit en effet un ensemble unique, comprenant non seulement sa collection de «livres des morts», sans doute la plus riche au monde, mais aussi d'autres œuvres complémentaires, issues de plusieurs prêteurs étrangers, publics et privés.
De 1600 avant notre ère à 100 après J.-C., tout défunt se devait d'avoir un de ces viatiques sous peine d'échouer à une épreuve imposée par les dieux ou de se perdre entre deux étapes dans le royaume d'Osiris, et alors de disparaître complètement. Les archéologues qui découvrent aujourd'hui des tombes non pillées de dignitaires savent ainsi qu'entre les bandelettes de la momie et son sarcophage, parmi différentes amulettes, ils ont toutes les chances de trouver ce genre de document.
Leur réalisation a pris des mois. Des prêtres ont détaillé la procédure de manière quasi administrative : un cheminement sur la barque de Rê durant lequel le mort croisera immanquablement quantité de dieux et de démons hybrides avant la régénération solaire espérée et l'arrivée dans un champ de roseaux idéal, au printemps perpétuel. Les hiéroglyphes sont des listes de formules magiques, utiles notamment lors des grandes comparutions devant les tribunaux suprêmes ou, par exemple, pour se métamorphoser en gazelle lorsqu'on rencontre un crocodile. Quant aux illustrations aux couleurs d'une fraîcheur exceptionnelle, telles celles du livre d'Ani, un scribe du roi à Thèbes actif au cours du XIIIe siècle av. J.-C., elles sont magnifiques. D'un livre à l'autre les variations sont nombreuses. Le bénéficiaire pouvait, en effet, dans une certaine mesure, choisir les incantations ou les épisodes qu'il estimait lui convenir.
Parfois, certaines scènes font rire. On remarque par exemple un lion et une gazelle assis de manière très humaine à une table de jeu. On note aussi que les Égyptiens pouvaient tricher à la pesée des âmes sans que cela choque personne. Preuve d'une mentalité à mille lieues de la pensée judéo-chrétienne.
Symbolique funéraire
Bien que présentés dans la pénombre, les rouleaux n'ont rien d'effrayant. La poésie qui s'en dégage est forte ; surréaliste, si l'on peut dire, avec, par exemple, ce corps oblong de la déesse Nout courbée au-dessus du monde et symbolisant le ciel. Il en va de même pour les autres objets liés au propos de l'exposition: cercueils aux intérieurs peints de cartes d'orientation post mortem ou saturés d'inscriptions talismaniques, masques d'or, amulettes, canopes (ces urnes sculptées qui contenaient les viscères du défunt), bijoux et figurines tombales…
Ce que réalise ici le British Museum est une première dans le monde de l'égyptologie, car c'est bien au cœur de la symbolique funéraire pharaonique que le public est plongé. Et donc au cœur du monde égyptien antique. En outre, on ne reverra pas de sitôt ces rouleaux, car ils sont extrêmement fragiles.
L'ensemble livre une idée précise de la foi et de la cohésion dont cette société bâtisseuse de pyramides était dotée. La scénographie, très pédagogique et fort bien documentée, donne enfin de quoi méditer. «Des champs, des rivières, des maisons, bref tout un quotidien se remarque dans ces peintures funéraires, explique Neil MacGregor, le président de l'institution. Ces formulaires pour l'au-delà donnent en fait à l'historien bien des clés pour comprendre ce que pouvait être la vie ici-bas, sur les bords du Nil, il y a trois mille ans.»
Jusqu'au 6 mars au British Museum, à Londres. «Un voyage dans la vie après la mort : le Livre des morts de l'Égypte antique» fait partie du programme Eurostar/Culture Connect (www.eurostar.com).
Catalogue BM, en anglais, 320 p., 30 £. www.britishmuseum.org. Tél. : + 44 (0) 20 7 323 82 99.
LE FIGARO
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