Guerre du Vietnam : des images, des amis et des morts




Mardi 8 février, bon nombre de photoreporters passés par la guerre du Vietnam se sont donné rendez-vous à la Maison européenne de la photographie (MEP), à Paris. On croise Nick Ut, mondialement célèbre pour sa photo de 1972 qui montre une petite fille nue et hurlante, brûlée au napalm. Ou Christine Spengler, une des rares femmes à avoir couvert ce conflit.

L'ambiance est au recueillement et à l'émotion. Il y a quarante ans, le 10 février 1971, leur confrère et ami, le Français Henri Huet, qui travaillait pour l'agence américaine Associated Press (AP), disparaît : son hélicoptère est abattu par des tirs du Vietcong au-dessus du Laos. Jusqu'au 10 avril, une exposition à la MEP rend hommage à ce photographe doué et un peu oublié.


Devant ces images pleines de morts, de boue et de fatigue, les langues se délient. Les photographes disent la même chose : aucune guerre n'a marqué leur vie et leur carrière comme celle du Vietnam. D'abord parce que ce conflit a été, pour les photographes, le plus meurtrier de tous. Un livre, Requiem (éd. Marval, 1998), a fait le compte : 135 reporters tués, des deux côtés. Henri Huet a lui-même photographié les derniers instants d'une consoeur : sur une image poignante de 1965, Dickey Chapelle, mortellement touchée, est recroquevillée sur le sol, tandis qu'un aumônier militaire lui donne l'extrême-onction.


En même temps qu'Henri Huet, trois autres photographes ont péri dans l'attaque de son hélicoptère : le Japonais Keisaburo Shimamoto (Newsweek), l'Américain Kent Potter (United Press International), et le Britannique Larry Burrows, star du magazine Life, auteur de stupéfiantes images en couleur. Un autre aurait dû faire partie de la liste, Nick Ut : "Henri était mon meilleur ami, nous travaillions tous les deux pour AP, raconte le photographe, ému. Je devais prendre cet avion, mais on s'est arrangés, pour des questions de vacances... Il a pris ma place, et c'est lui qui est mort."

Nick Ut a perdu un autre proche dans le conflit : son propre frère, photographe à AP, est mort quand Ut n'avait que 15 ans. La famille, endeuillée, avait besoin d'argent, alors le cadet a aussitôt remplacé l'aîné. Après trois mois au labo, il partait sur le terrain.
Ces morts ne sont pas le fruit du hasard. "Les pertes chez les photographes reflètent la situation sur le terrain, explique Richard Pryne, qui fut le chef du bureau d'AP à Sayon de 1968 à 1973. Nous avions une liberté totale d'accès. Le Vietnam a été la première et la seule guerre américaine sans censure." Sur le terrain, les photographes vont où ils veulent ; ils sont même prioritaires. "Il suffisait d'aller voir un officier qui se rendait là où je voulais. Il me disait : "Monte !" et je sautais dans l'hélico", raconte Nick Ut. Les photographes partagent le quotidien des soldats, qui ont souvent le même âge qu'eux ; ils subissent les assauts de l'ennemi et courent les mêmes risques. "La différence, précise Nick Ut, c'est que je portais un appareil et pas une arme. J'ai toujours refusé, ça pouvait être dangereux si j'étais pris."

Les images du Vietnam reflètent cette proximité extrême du photographe avec son sujet. Les photos d'Henri Huet sont sans fard : elles montrent des soldats en difficulté, des blessés graves qui n'en ont plus pour longtemps, des cadavres qui attendent d'être rapatriés dans des sacs. Dans sa photo la plus célèbre, publiée en couverture de Life en 1966, un docteur tente de soigner un soldat alors qu'il est lui-même sérieusement blessé.

Les journaux, à l'époque, publient ces photos chocs. "A condition que le visage du mort ne soit pas identifiable, explique Richard Pryne. Il y avait des images horribles, mais on les considérait comme des informations importantes. On ne pourrait pas avoir ça maintenant. La guerre est devenue une scène de crime ! Il n'y a plus moyen d'approcher." Christian Simonpietri, qui fut reporter au Vietnam pour l'agence Gamma, confirme : "Après le Vietnam, tout a changé. Les Américains se sont rendu compte de l'impact des images. Et lors des guerres suivantes, par exemple l'invasion de la Grenade (1983), l'accès de la presse a été totalement contrôlé."
Ce mélange de liberté et de danger a créé chez les photographes une fascination pour cette époque, presque de la nostalgie. Les émotions y étaient intenses, les amitiés aussi. "Nous avons vécu une époque fantastique, -résume Christian Simonpietri. On n'aimait pas la guerre, mais c'était un défi, on dépassait nos limites, on voyait l'horreur dont l'homme était capable." Aujourd'hui encore, Richard Pryne se souvient du Vietnam comme d'une expérience unique : "Les meilleurs articles, les souvenirs les plus forts sont liés au Vietnam. Et mes meilleurs amis, je les ai connus là-bas." Dans l'exposition consacrée à Huet, la commissaire de l'exposition, Hélène Gédouin - nièce du photographe -, a tenu à avoir une petite salle à part, qu'elle appelle "la pièce des copains". "Dans les lettres qu'Henri Huet a envoyées pendant son séjour au Vietnam, dit-elle, il parle énormément de ce lien très fort qui les unit." On y trouve des images célèbres qu'ont faites au Vietnam les collègues d'Henri Huet, comme Nick Ut, Eddie Adams, Dana Stone ou Larry Burrows : des images de souffrance, de mort et d'amitié comme seul le Vietnam en a fait naître.
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"Henri Huet, Vietnam", Maison européenne de la photographie, 5-7, rue de Fourcy, Paris 4e. Tél. : 01-44-78-75-00. Sur le Web : Mep-fr.org. Du mercredi au dimanche, de 11 heures à 20 heures. Jusqu'au 10 avril.
A lire : Henri Huet. "J'étais photographe de guerre au Vietnam", de Horst Faas et Hélène Gédouin, éd. du Chêne, 2006.

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