Rodin, «élève de Dieu»

Paolo et Francesca, 1880-1882.Crédits photo : Eric Sander/© Eric Sander À Paris, le musée Rodin expose quelques- uns des plus somptueux marbres du maître, ceux qui lui avaient valu le surnom de «Michel-Ange du XXe siècle». «La tête de l'homme est penchée, celle de la femme est levée, et les deux bouches se rencontrent en un baiser où se scelle l'union intime de deux êtres. Par une extraordinaire magie de l'art, il est visible, ce baiser, à peine indiqué à la rencontre des lèvres, il est visible, non seulement à l'expression des visages recueillis, mais encore à tout le frisson qui parcourt ces deux corps de la nuque aux talons.» Quand Rodin sculpte Le Baiser, en 1882, il est déjà suffisamment célèbre pour que de nombreux critiques, dont le talentueux Gustave Geffroy, mettent leur plume au service de son art. Tous le reconnaissent: avec de la terre, du bronze et du marbre, Rodin a modelé de la passion, de la souffrance, de la volupté. «Avec lui, le marbre tremble», disaient ses contemporains, déconcertés de voir que ce matériau qui semble voué à la pesanteur et à l'immobilité s'animait soudain entre ses mains.
Le Baiser évoque sa rencontre avec Camille Claudel.Crédits photo : Eric Sander/© Eric Sander Exposées dans la chapelle de l'hôtel Biron, une cinquantaine de pièces révèlent l'habileté du maître à faire vibrer la chair dans le marbre, la rendre vivante, en exprimer les courbes et la volupté.Dur et froid, le marbre doit pourtant acquérir souplesse et chaleur sous le ciseau de l'artiste. Dans cette esthétique de l'imitation, Rodin joue de la lumière et des ombres, des creux et des saillies.
Le Baiser.Crédits photo : Eric Sander/© Eric Sander Comme tous les artistes de sa génération, il a les yeux tournés vers l'Italie, où il se rend en 1875. D'abord très dérouté par la torsion des corps de Michel-Ange qui font un violent contraste avec le calme des modèles grecs que Rodin avait longuement étudiés au Louvre, il est plein d'enthousiasme au retour, convaincu que Michel-Ange l'a libéré de l'académisme. Il expose L'Âge d'airain à Bruxelles, qui suscite le premier des scandales dont la carrière de Rodin sera émaillée: la sculpture était tellement vivante qu'une campagne de presse accusa l'artiste d'avoir moulé le corps d'un modèle d'atelier. Pour se justifier, Rodin produisit des photos des différentes étapes de son travail tout en constatant: «Il me faudrait un cerveau plus rusé que le mien pour sortir de ces difficultés.» Il aura du moins la satisfaction d'être soutenu par ses collègues les plus talentueux: Falguière, Chapu, Dubois. Rodin, qui n'obtient que des succès de scandale et ne vend rien, doit pourtant assurer l'existence des siens. Il est tour à tour ornemaniste, orfèvre, céramiste, ouvrier le jour, artiste le soir: «J'ai eu jusqu'à 50 ans tous les ennuis de la pauvreté», avouera-t-il plus tard. Rodin devra s'habituer à déclencher querelles et passions: toutes ses oeuvres seront discutées. Ses Bourgeois de Calais ont choqué et rebuté le conseil municipal de la ville, qui faillit renoncer à sa commande. Son monument à Victor Hugo, qui représente le poète nu parmi les muses, a été refusé pour le Panthéon. Mais le plus grand tollé, ce fut pour son Balzac, débordant de puissance, commandé puis désavoué par la Société des gens de lettres, qui ne voulut pas de l'oeuvre et exigea d'être remboursée jusqu'au dernier sou. Sa vie durant, Rodin dut ainsi affronter les critiques, les coups bas, les cabales, les sarcasmes, les empoignades dans les journaux, les menaces de procès. Rodin bafoué mais génial. Vilipendé mais virtuose. Discuté mais glorieux. On le sait aujourd'hui: des Grecs à Picasso, l'histoire de la sculpture passe par lui. Léonard de Vinci inventa le «sfumato», Rodin utilisera le «non finito» Avant lui parurent des maîtres, mais Barye, Carpeaux ou même le Rude glorieux de La Marseillaise de l'Arc de triomphe ne renversent pas les courants artistiques de leur temps comme Rodin saura le faire. Il devra d'abord livrer un dur combat à cet académisme qui encombre les places publiques de monuments inspirés par l'antique et de personnages en toge ou en redingote. On admire qu'il soit parvenu à dominer les contradictions de son époque.
La Danaïade, 1889.Crédits photo : Eric Sander/© Eric Sander Quand il paraît sur la scène artistique, le mouvement réaliste décline alors que le symbolisme s'affirme peu à peu. Mais ces multiples courants sont peu perceptibles dans l'oeuvre de Rodin, si personnelle qu'elle est en mesure de les dominer, de les absorber. Il n'est pas davantage proche des impressionnistes, dont il est le contemporain et avec lesquels il lui arrive d'exposer. Certes, comme eux, il se passionne pour les jeux de lumière, mais alors que Monet s'acharne à saisir les apparences, Rodin affirme que ce qu'il cherche, c'est la vérité intérieure qui transparaît sous la forme: «Établissez nettement les grands plans des figures que vous sculptez. Accentuez vigoureusement l'orientation que vous donnez à chaque partie du corps. L'art réclame de la décision», ordonne-t-il aux jeunes sculpteurs. Le corps humain est devenu l'unique passion de Rodin. Il n'acceptera que très rarement de coiffer d'un casque le front de Bellone ou de poser des ailes sur les épaules du génie de La Défense. Le corps nu sera, tout au long de sa carrière, l'objet quasi exclusif de son étude, corps d'homme au temps de L'Âge d'airain, du Penseur, corps féminin surtout qu'il traquera sans cesse, dont il aimera traduire la chair dans l'argile ou le marbre. Cette volonté d'observer comment les sentiments se traduisent sur chaque muscle, chaque grain de la peau, fait de Rodin un sculpteur qui ne ressemble à aucun autre. Dès qu'il est parvenu à la maîtrise, une seule préoccupation l'assaille: saisir la vie sous toutes ses formes, telle que la révèle le corps du modèle qui évolue devant lui.
Fugit Amor,(1892) est inspié du thème des amants maudits de L'Enfer de Dante.Crédits photo : Eric Sander/© Eric Sander De plus en plus, à partir de 1880, il traite ces marbres frémissants de vie non plus dans le style précis et fini qui était le sien à ses débuts, mais en ayant recours au non finito qui évoque le sfumato de Léonard de Vinci et qui, par son aspect inachevé, contraste avec le modelé délicat de la chair. Sans tenir compte des lois de la composition, Rodin laisse libre cours à son lyrisme. A ce point de son oeuvre, quand pensée et sculpture ne font plus qu'un, quand l'une s'identifie naturellement à l'autre, Rodin est bien ce maître dont l'oeuvre inclassable, immense, fait de son poids basculer tout son siècle dans une stupéfiante virtuosité. «Rodin, la chair, le marbre», musée Rodin, 79, rue de Varenne, 75007 Paris, jusqu'au 3 mars 2013. Catalogue sous la direction d'Aline Magnien, commissaire de l'exposition Somogy. Voir aussi Ecrire la sculpture. De l'Antiquité à Louise Bourgeois, remarquable anthologie par Claire Barbillon et Sophie Mouquin, Citadelles & Mazenod. LE FIGARO

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