Matisse, l'art de la répétition


Quel «Luxe» ! - Stylisé, plein comme la pierre et monumental comme une sculpture grandeur nature, Le Luxe II (1907-1908) est un tableau si important dans l'œuvre de Matisse qu'il est lié directement à deux de ses icônes : La Danse II (1910), trésor du Musée de l'Ermitage à Saint-Pétersbourg, et L'Atelier rouge (1911), trésor du MoMA à New York, qui inspira Rothko dans sa série rouge sang du Seagram Building. Ce Luxe II, Matisse l'a d'ailleurs représenté, tableau dans le tableau, comme l'œuvre maîtresse de L'Atelier rouge peint à l'automne 1911, comme de L'Atelier rose peint au printemps (Musée Pouchkine, ancienne collection Serguei Chtchoukine).La même cimaise marie ici les deux versions comme les deux réponses à une recherche formelle. Le Luxe I (1907), tout en touches suaves que permet la peinture à l'huile, seins roses de la déesse, dos vert amande de la servante qui lui essuie les pieds, mauve de l'horizon qui oscille entre le gris doux et l'amorce du vert céleste (Centre Pompidou). De format, de sujet et de composition identiques, Le Luxe II est une détrempe sur toile peinte au retour d'Italie, sous l'influence de Giotto, une technique qui accentue la matité des à-plats très secs. Le dessin continu et tonique souligne cette platitude lisse de la matière picturale, ce hiératisme volontaire des formes, et crée une modernité étonnante pour 1907. Le collectionneur Johannes Rump pensait avoir acheté le premier en 1917 et fut décontenancé par le second. C'est aujourd'hui une des gloires du Statens Museum for Kunst de Copenhague. (Lucien Lung pour Le Figaro/Succession H.Matisse)
En confrontant les toiles sœurs du «peintre inquiet du bonheur», le Centre Pompidou décrypte son processus créatif.


Peindre, qu'est-ce que cela veut dire? La réponse vous attend chez Matisse, univers de mesure qui respire la joie, la simplicité et la volupté, et qui se révèle une construction obstinée de la main et de l'œil. Plutôt qu'une énième célébration du «peintre du bonheur» adoré de tous (4,27 millions de réponses sur Google!), le Centre Pompidou s'est lancé sur la piste de la création. Comment l'esprit vient-il au peintre?

Comme toute discipline qui vise la perfection et le renouveau, il se débusque par la recherche incessante, la critique et la répétition, répond cette exposition conçue d'emblée avec un angle. L'essai pictural en seulement 60 tableaux et 40 dessins est un vrai antidote à la surdose souvent de mise. Vu les tableaux de légende mis en couple pour étayer l'hypothèse, la leçon d'histoire de l'art a tout de la promenade sur l'Olympe.



Scénographie aérée

«Pour une étude préliminaire, j'utilise toujours une toile de même taille que celle destinée au tableau définitif, et je commence toujours par la couleur, confiait Henri Matisse à la journaliste américaine Clara MacChesney, en visite dans son atelier d'Issy-les-Moulineaux en juin 1912. Je ne retouche jamais une étude ; je prends une nouvelle toile de la même taille, comme il m'arrive de changer un peu la composition. Mais je m'efforce toujours de rendre le même sentiment tout en allant plus loin. Une toile devrait toujours, selon moi, être décorative. Quand je travaille, j'essaie de ne jamais penser, seulement de sentir.»

La parole de l'artiste allège la visite qui s'abstient d'une avalanche de textes explicatifs. La scénographie est aérée, la couleur dosée comme un indice. Il suffit de regarder. Les tableaux s'éclairent mutuellement. Ils se ressemblent parfois aussi peu que des frères comme ces trois Pont Saint-Michel à Paris, peints autour de 1900: ils semblent être de la main de trois peintres différents.

Quand Matisse peint au printemps 1914 son Intérieur, bocal de poissons rouges, le soleil irradie le quai Saint-Michel de sa lumière de fin d'après-midi (Centre Pompidou). Quand il y revient à l'automne 1914 via Poissons rouges et palette, la mobilisation a été décrétée le 1er août, dans une France en pleines moissons. Le noir a envahi la composition, l'homme ne s'y lit plus qu'à travers un code formel, la douceur des jours s'est évanouie, la nature morte mérite son nom. C'est l'une des gloires du MoMA de New York.
Un petit rien qui change presque tout. Là encore, la confrontation des deux huiles sur toile est une exploration en direct d'un esprit qui crée, contemple et invente encore. À l'été 1912, Matisse peint une nature morte dans son atelier d'Issy-les-Moulineaux. Une chaise en bois avec un coussin en tissu, un vase de capucines posé sur une sellette de sculpture. En arrière-plan, La Danse: la première version (1909), toute bleu azur, herbe émeraude et chair douce aux accents nacrés, enivre les visiteurs du MoMA; la seconde (1910), vigoureuse, tonique et fauve à la chair orangée, ceux de l'Ermitage à Saint-Pétersbourg. En reprenant ces Capucines à la danse même composition et même format -, il se décale légèrement sur la droite, petit rien qui change presque tout. La chaise au premier plan devient une demi-abstraction, la sellette une peinture en 3D que met en relief l'utilisation inversée du rose et du vert. Les danseurs à la carnation intense sur ce bleu plus dense jaillissent du mur. L'examen aux rayons X de la seconde version montre qu'elle ressembla d'abord beaucoup à la première, avant d'évoluer vers une audacieuse liberté synonyme de modernité affirmée. Les historiens évoquent la visite du Russe Chtchoukine dans l'atelier d'Issy-les-Moulineaux et la confrontation de ces nouvelles Capucines avec Conversation et Coin d'atelier, tout en intensité chromatique et en diagonales, dans la salle à manger du collectionneur. L'œil fait l'artiste qui en tira sa leçon. (Lucien Lung pour Le Figaro/Succession H.Matisse)







La vie en bleu - Il y a de l'éblouissement dans l'air lorsque s'achève cette promenade matissienne devant la série des Nu bleu I, II, III et IV, réalisée à l'hôtel Regina de Nice au printemps 1952. Grâce à cette exposition négociée au sommet dans le cercle fermé des plus grands musées du monde, voici une parentèle rarement réunie qui vaut toutes les leçons de peinture. Le Nu bleuI, stylisé à l'extrême comme l'acrobatie d'une danseuse, vient de la Fondation Beyeler à Bâle. Les Nu bleu II et Nu bleu III ont la rondeur féminine des Tahitiennes aux gorges pleines, galbe souligné de vide par le seul jeu du ciseau. Elles sont des déesses modernes du Centre Pompidou depuis 1984 et 1982. Enfin, le Nu bleu IV ne mérite pas son numéro, car il est celui qui a donné naissance, par sa gestation complexe des volumes, à tous les autres. Le Musée Matisse de Nice a prêté cette merveille qui démontre le travail pensé et soupesé de Matisse. Le peintre procède à un collage très étudié de papiers gouachés et découpés pour obtenir ses à-plats monochromes et le mouvement réduit à son essence. Les traits au fusain courent sur la feuille de papier (102,9 × 76,8 cm). L'élan spontané comme un jeu d'enfant qui anime les trois autres nus bleus est, en fait, la somme d'une recherche expérimentale rigoureuse.Crédits photo : Lucien Lung pour Le Figaro/Succession H.Matisse


«Matisse. Paires et séries», Centre Pompidou, jusqu'au 18 juin. À lire: «Matisse, le ciel découpé », Citadelles & Mazenod, 59 €. Le Musée Matisse, à Nice, présentera une exposition à partir du 15 juin.
Le Figaro

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